SCIENCE – Ce vendredi soir sur TF1 sera diffusée la première réalisation des « extraordinaires » dans sa version française. L’émission a déjà connu un succès retentissant en Chine, en Allemagne ou en Italie, et quand on m’a proposé d’être la version française du désormais légendaire « Dr. Wei » de Beida (la meilleure université de Chine), qui avait eu pour invité Robin Li, le geek-en-chef de l’empire du milieu qui a cofondé le moteur de recherche Baidu, on m’a fait « une proposition que je ne peux pas refuser ».
Les experts scientifiques des éditions internationales de « The Brain » sont tous irréprochables, de Wei à Robert Desimone, le directeur du McGovern Institute du MIT. Mais adapter l’émission à la France reste un certain défi. Pour les américains, il s’agit de « popular science », science populaire donc ; pour les Français, c’est de la « vulgarisation », vulgaire donc. Il y a encore beaucoup trop de scientifiques en France qui pensent que la vulgarisation a quelque chose de compromettant. Quand elle ne fait pas beaucoup d’audience encore, on lui reconnaît une certaine pudeur dans l’erreur, mais quand elle vise des millions de téléspectateurs, elle est forcément, foncièrement, intrinsèquement mauvaise.
Nous sommes complexés de la pédagogie: « la pédagogie, c’est pour les nuls » ai-je entendu durant mes années à Normale Sup’; d’ailleurs il n’y a pas un seul cours de pédagogie à l’agrégation, toutes matières confondues. La première fois que j’ai donné une présentation à la rue d’Ulm, je me suis vu reprocher sa trop grande simplicité: « c’est nul, vous n’avez pas travaillé, il y a une seule image par diapositive, pas d’équations, pas de tonnes de puces etc. » Arrivé à Stanford, j’ai appris ma leçon, je donne une présentation « à la normalienne »: « mon Dieu, il y a des puces partout, des tonnes de texte, vous ne savez pas présenter! ». Ce jour-là j’ai compris la différence fondamentale qu’il y avait entre la pédagogie française et la pédagogie américaine: la première est spartiate, la seconde est athénienne.
Cependant l’idée qu’il faille nécessaire souffrir pour connaître, si elle est entretenue par une certaine minorité, n’est absolument pas majoritaire. Un de mes mentors en neurosciences, l’excellent Yves Burnod, m’a définitivement convaincu de participer au talent show avec de vrais morceaux de science dedans, et je peux simplement expliquer pourquoi. Aujourd’hui l’Humanité produit beaucoup plus de connaissance qu’elle ne peut en faire circuler. Or le flux de connaissance est proportionnel à l’attention multipliée par le temps. Si une connaissance parvient à capter l’attention et le temps, elle est propagée. Autrement, elle est ignorée. C’est pour cette raison que la Corée du Sud, quand elle veut populariser la robotique, crée un parc d’attraction « Robot Land » à Incheon, dont « Hubo Einstein » est la mascotte; c’est pour cette raison que Barack Obama rencontre le jeune prodige Taylor Wilson, qui a réalisé une fusion deuterium-deuterium avec un fuseur de Farnsworth à l’âge de 14 ans, alors qu’il ne brille pas du tout par ses notes d’ailleurs… C’est enfin pour cette même raison que le brillantissime Stanislas Dehaene a été commissaire de l’enthousiasmante exposition « C3rv34u » à la Cité des Sciences, précisément « l’exposition neuroludique ». Elle est le lieu de tournage des vulgarisations scientifiques des Extraordinaires.
La science devrait être infiniment plus coopérative qu’elle ne l’est aujourd’hui. Faire circuler et produire de la connaissance scientifique est un travail global qui ne doit mépriser aucun de ses corps de métier, en particulier ceux qui ne consistent qu’à piquer la curiosité. La méga-cathédrale que nous construisons ensembles a ses artisans les plus humbles et ses architectes les plus en vue, mais tous ont un rôle d’une grande noblesse. Avec « les extraordinaires », des millions de gens vont découvrir que le cerveau a des capacités réputée impossibles. Des millions de gens vont entendre les mots « mémoire épisodique », « cortex entorhinal », « hippocampe » ou « sillon intrapariétal »; des millions de gens vont découvrir un apéritif intellectuel en neurosciences. On ne devrait jamais sous-estimer le bénéfice d’un tel déclic pour l’avancement de la science humaine. Je suis certain que vous allez adorer ce show neuroludique.